Les intérêts au taux légal

Le régime des intérêts en droit des assurances présente une singularité méconnue.

Il relève, sauf disposition légale spéciale (catastrophe naturelle par exemple), des anciens articles 1153 et 1153-1 du Code civil devenus les articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil.

Aux termes de l’article ancien 1153 du Code civil (1231-6 nouveau), les intérêts moratoires ne commencent à courir qu’à compter du jour de la sommation de payer ou d’un acte équivalent, c’est à dire le jour où le créancier a manifesté auprès de son débiteur la volonté d’être payé. C’est cette disposition qui s’applique en matière d’assurance de chose.

Elle ne doit pas être confondue avec l’article ancien 1153-1 (1231-7 nouveau) selon lequel, en cas de condamnation au paiement d’une indemnité dont le juge fixe le principe et le montant, par exemple évaluant le préjudice d’une victime, celle-ci produit intérêts (sauf décision contraire) du jour du jugement.

En droit des assurances, l’article 1153 (1231-6 nouveau) a donné lieu à de nombreux arrêts qui ont précisé les conditions de sa mise en jeu.

Une cour d’appel avait décidé que les intérêts au taux légal de l’indemnité d’assurance allouée à un assuré, à la suite de la destruction de son immeuble par un incendie, sont dus à compter de la date de son arrêt.

L’arrêt a été cassé pour violation de l’article 1153 du Code civil. Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une somme d’argent, les intérêts résultant du retard dans l’exécution sont dus en principe du jour de la sommation de payer.

« cette règle a vocation à s’appliquer à l’indemnité due par l’assureur, dès lors que, s’agissant d’une assurance de chose, le montant de cette indemnité est fixé en fonction de la valeur de la chose assurée au jour du sinistre et ne résulte pas de l’évaluation d’un préjudice faite par le juge le jour où il statue » (Cass. 1ere civ. 9 mars 1999 ou Cass com 10 juillet 2007)

L’inattendu se trouve dans le montant de la somme affectée des intérêts en cas de mise en demeure ou de sommation de payer.

La solution ancienne se trouve dès un arrêt de la Cour de cassation qui a cassé, pour violation des articles 1153 du Code civil et L.122-2 al.2 du Code des assurances, un arrêt dans lequel les juges du fond avaient décidé que la sommation de payer faite par l’assuré ne concernant que le paiement d’une provision, les intérêts au taux légal ne pouvaient courir au jour de la sommation que pour le montant de cette provision (Cass 1ere civ.16 fév.1994).

La règle signifie que l’assuré a la faculté de faire courir les intérêts au taux légal contre l’assureur à une date ou l’évaluation de sa créance n’est pas achevée, et où l’assureur ne sait même pas ce qu’il doit payer. La mise en demeure peut ainsi être adressée avant la fin de l’évaluation des dommages à titre de sanction contre l’assureur, par application de l’article L 122-2 du code des assurances.

Les intérêts sont calculés sur le total de la créance de l’assuré, alors qu’au moment de leur point de départ cette créance peut être indéterminée, et que l’assuré ne réclame alors qu’un acompte. C’est pourtant bien sur le montant total de la créance que les intérêts vont courir.

Cette règle inhabituelle est mal comprise par les juges du fonds, et doit être régulièrement rappelée par la cour de cassation.

Vu les articles 1153 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et L. 122-2, alinéa 2, du Code des assurances ;

Attendu que pour fixer au 11 février 2013, date de l’assignation au fond, le point de départ des intérêts moratoires, l’arrêt énonce qu’en matière d’assurance de chose, l’indemnité due par l’assureur étant fixée en fonction de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre, les intérêts moratoires sont dus à compter de la sommation de payer ;
Qu’en statuant ainsi alors que l’assignation de l’assureur devant le juge des référés par un assuré victime d’un incendie en paiement d’une provision valant sommation d’indemniser le dommage garanti par le contrat d’assurance dans le délai imparti par l’article L. 122-2, alinéa 2, du Code des assurances, la cour d’appel, qui avait relevé que l’assuré avait précédemment assigné l’assureur en référé pour obtenir une provision et la désignation d’un expert, n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé le premier texte susvisé ; (Cass. 2e civ., 20 oct. 2016, n° 15-25324 RGDA 01/12/2016 – n° 12 – page 606 Note Anne Pélissier)

Dans cette affaire, pour un client du cabinet RADIER, comme souvent l’assuré rencontrait une contestation de garantie et une contestation de l’évaluation de ses dommages.

Le procès a donc commencé par une assignation en référé du 14 mai 2012 pour faire désigner un expert, et obtenir une provision. C’est ainsi qu’une ordonnance de référé du 13 juin 2012 a désigné un expert et alloué une provision de plus d’un million d’euros.

Une fois l’expertise achevée et le préjudice du client évalué à un peu plus de 5 millions d’euros, le tribunal a été saisi, et il a condamné l’assureur à payer la perte du fonds de commerce, et il a fixé le point de départ des intérêts à la date de l’assignation au fond.

La cour de cassation sanctionne la cour d’appel, et rappelle que les intérêts sont dus à compter de la première mise en demeure, soit la date de l’assignation en référé du 14 mai 2012 et non celle de l’assignation au fond le 11 février suivant, bien qu’à cette date le montant total de la somme due par l’assureur était encore inconnu.

Cette solution est en définitive parfaitement logique et pertinente. Le mécanisme de l’intérêt légal s’applique automatiquement, de plein droit, par l’effet de la loi, sans que le créancier n’ait à justifier du moindre préjudice puisqu’il s’agit d’un système en quelque sorte forfaitaire.

On conçoit mal que l’assureur puisse s’exonérer pendant presque 3 ans de ses obligations, faisant fructifier l’indemnité qu’il devait pourtant régler, sans prendre ce que les auteurs s’accordent unanimement à qualifier de « risque des intérêts» : « le risque relatif au point de départ des intérêts est donc supporté par l’assureur qui conteste sa garantie » (Lamy assurance 2016 N° 980).

jcr

9 Commentaires

  1. Fechino

    Bonjour, mon fils a eu un accident de voiture sur une route à double sens. Il tournait à gauche et une voiture l’a doublé sur la voie en sens inverse. Le choc était sur le côté droit de l’autre voiture et la voiture de mon fils a été abîmée sur le coin avant gauche. Son assurance lui a donné tord à 100% et je suis sûre que c’est un CAS 17 de l’IRSA, donc 50/50. Son assurance ne répond pas aux mails ni aux lettres AR. Comment et par quel moyen se défendre ?

    Réponse
    • jcradier

      Allez devant un tribunal, si vous avez quelques années à perdre. jcr

      Réponse
  2. ORSONI JEAN-JACQUES

    les juges n’ayant pas répondu à la demande oubliée par mon avocat, est t’il possible d’engager une procédure réclamant les intérêts au taux légal capitalisés à compter de l’assignation du 06.04.1998 sur le plafond de la garantie de 762 245 euros. l’assureur refuse de régler les intérêts à compter du jugement de premiere instance le condamnant à verser le plafond de la garantie comme la cour d’appel de renvoi. ma réclamation est de 35 000 euros l’assureur m’a proposé 400 puis 4000 puis 2300 euros. Si je suis dans l’obligation d’engager une procédure autant demander le maximum. MERCI DE ME DONNER VOTRE AVIS.

    Réponse
    • jcradier

      Impossible de répondre sans lire le dossier, interrogez votre avocat. jcr

      Réponse
  3. orsoni jean jacques

    j’ai eu un accident de moto le 20 septembre 1996. (garantie du conducteur 5 000 000 de fcs, indemnisation en droit commun). Les juges n’ont pas statué sur le point de départ des intérêts.l’assureur propose de me régler les intérêts légaux à compter du jugement du 25 .11. 2014. En droit commun quel est le point de départ : l’assignation ou le jugement de première instance ?.
    VOUS ME RENDRIEZ UN GRAND SERVICE EN ME REPONDANT AVANT DE SIGNER UN PROTOCOLE DE TRANSACTION DANS 5 JOURS… MERCI

    Réponse
    • jcradier

      S’il s’agit de la garantie du conducteur, le point de départ des intérêts est la première mise en demeure, lettre recommandée AR ou assignation. S’il s’agit d’un recours c’est le juge qui fixe le point de départ, à défaut c’est le jour du jugement. jcr

      Réponse
    • jcradier

      Si vous agissez contre votre assureur avec la garantie du conducteur les intérêts démarrent à la date de l’assignation. Si vous exercez un recours contre un véhicule impliqué, ils démarrent à la date du jugement. jcr

      Réponse
      • ORSONI JEAN JACQUES

        Mon avocat ayant « oublier » de demander dans son dispositif final, les intérêts à compter de l’assignation, les juges n’avaient pas obligation de réponse (c’est ce qu’a déclaré la cour de cass). Mon accident en pleine agglomération causé par chien (3 témoignages). puis-je engager une procédure pour réclamer les intérêts à compter de l’assignation de 1998 (intérêts plus de 350 000 euros sur 762 245 euros.

        Réponse
        • jcradier

          Si votre avocat a oublié dette demande, en matière de dommage corporel cela peut représenter en effet des sommes importantes, vous pouvez légitimement le poursuivre. jcr

          Réponse

Poster le commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

captcha

Please enter the CAPTCHA text