La cour de cassation a rendu depuis quelques années des décisions qui ont généré des doutes sur son interprétation de ce qu’on appelle le sinistre volontaire, au sens de l’article L 113-1 du code des assurances, aux termes duquel.
« Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. »
Ainsi lorsque l’assuré provoque délibérément le dommage, l’équilibre du contrat d’assurance est rompu et l’assureur est exonéré de toute obligation de paiement.
Mais la faute intentionnelle en droit des assurances jouit d’une définition qui lui est propre. Ainsi, une telle faute n’est caractérisée que lorsque l’assuré a commis un acte fautif avec :
– La volonté de le commettre en connaissance de son caractère fautif,
– La volonté de provoquer le dommage tel qu’il est survenu.
La faute intentionnelle suppose une volonté ferme et précise de l’assuré. Il doit la commettre en toute conscience non-seulement de son acte mais de toutes les conséquences qui y sont attachées. Il découle de cette définition très restrictive que d’une part et pour que cette volonté puisse être caractérisée, le discernement de l’auteur ne doit pas être aboli, et d’autre part, il doit avoir voulu toutes les conséquences de son geste. (Cass. Civ. 1re, 27 mai 2003, Cass. Civ. 1re, 6 avril 2004, Cass. Civ. 2e, 23 septembre 2004)
Une distinction est à opérer s’agissant d’une part des assurances de responsabilité, et d’autre part des assurances de choses.
Si dans les premières la faute de l’assuré doit s’apprécier par rapport à la victime des dommages, la faute intentionnelle dans le cadre d’une assurance de biens ne peut s’apprécier que vis-à-vis de l’assureur (Cass. Civ. 1re, 15 janvier 1985, Cass. Civ. 1re, 11 octobre 1994). Ainsi, elle ne peut être retenue que dans l’hypothèse où le sinistre a été volontairement causé dans le but d’obliger l’assureur à exécuter sa propre prestation. (Cass, Civ. 2e, 30 juin 2011)
« …la société avait, au moment où elle souscrivait la police d’assurance « multirisques immeuble », la volonté et la conscience de mettre à la charge de son propre assureur les conséquences du dommage qui résulterait de sa fausse déclaration intentionnelle et en conséquence avait l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu ».
Surtout la Cour de cassation se refuse à qualifier une quelconque faute d’intentionnelle dans l’hypothèse où les dommages survenus n’ont pas été recherchés par l’assuré tels qu’ils sont survenus. Les suicides et tentatives de suicide constituent des exemples classiques.
Quand par volonté de suicide, un assuré se jette sous les roues d’un camion et cause des dommages à un tiers, Cass. Civ. 1re, 10 avril 1996 :
« Attendu qu’une collision s’est produite entre la voiture conduite par Joël X… et le camion-citerne appartenant à la société Perrin ; que celle-ci et son assureur, la Société d’assurance moderne des agriculteurs (Samda) ont demandé à l’Union des assurances de Paris (UAP), assureur de Joël X…, le remboursement des frais exposés pour remédier à la pollution créée par le produit échappé de la citerne lors de l’accident ; que l’UAP s’y est opposée en invoquant la faute intentionnelle de son assuré ;[…]
Attendu qu’en se déterminant par des motifs qui ne caractérisent pas la volonté de Joël X… de provoquer le dommage dont il était demandé réparation à son assureur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »
Ainsi encore de la personne qui tente de se suicider par une explosion de gaz, Cass. Civ. 1re, 28 avril 1993:
« Attendu que, pour décider que la compagnie ne devait pas sa garantie, l’arrêt attaqué énonce qu’en enflammant une allumette après avoir ouvert une bouteille de gaz, M. X… a volontairement et intentionnellement provoqué le sinistre en ayant conscience de son geste et de ses conséquences dommageables, sa tentative de suicide au gaz, à côté d’une fenêtre restée ouverte, ayant eu pour but d’attirer l’attention sur ses déboires conjugaux ;
Attendu, cependant, que la faute intentionnelle ou dolosive qui exclut la garantie de l’assureur implique que l’assuré a voulu non seulement l’action ou l’omission génératrice du dommage, mais encore le dommage lui-même ; qu’en se bornant à retenir que M. X… avait eu conscience des conséquences possibles de son geste, sans rechercher s’il avait eu la volonté de causer les dommages dont il a été déclaré responsable, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ; »
Ainsi, il ne suffit pas que l’assuré ait conscience de la possibilité de causer un dommage au bien assuré, voire même la conscience qu’il va probablement causer un dommage, il faut qu’il ait manifestement tourné sa volonté vers la production du dommage tel qu’il est survenu.
Pourtant quelques arrêt de la cour de cassation ont donné naissance à une théorie doctrinale, aux termes de laquelle l’alinéa 2 de l’article L. 113-1 du Code des assurances distinguerait entre la faute intentionnelle et la « faute dolosive ».
Des auteurs ont en effet voulu voir dans certains arrêts de la seconde chambre civile de la Cour de cassation la qualification d’un nouveau cas d’exclusion légal, la faute dolosive. Pour ces commentateurs, une telle faute serait caractérisée lorsque l’assuré, bien que n’ayant pas recherché le dommage, a commis une faute justifiant l’exclusion de garantie en ce qu’elle fausse l’élément aléatoire attaché à la couverture du risque.
Dans le premier arrêt à l’origine de cette thèse, en date du 12 septembre 2013, la cour de cassation a considéré qu’un assuré propriétaire d’un véhicule tout terrain avait commis une faute dolosive en franchisant un cours d’eau à gué.
La décision a sollicité de nombreux commentaires, laissant à penser que la cour de cassation revenait sur sa jurisprudence traditionnelle, et admettait le principe de la faute dolosive indépendamment de la volonté de l’assuré sur l’étendue du dommage.
Sur le terrain factuel, l’exemple retenu par la cour de cassation était probablement mal choisi. En effet on cherche désespérément en quoi le franchissement d’un cours d’eau avec un véhicule tout terrain constituerait une faute dolosive.
Quoiqu’il en soit, un débat s’est instauré sur cette question au cours des mois qui ont suivi cette décision et quelques autres.
Les autres chambres de la Cour de cassation ont toujours persisté à ne retenir l’exclusion légale de l’article L. 113-1 al. 2 que lorsque l’assuré a recherché le dommage tel qu’il était survenu.
Mais la seconde chambre civile est ici encore revenue sur sa jurisprudence, et depuis un arrêt du 6 février 2014, elle ne fait plus référence à la faute dolosive, reprenant la formulation classique : « faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1 al. 2 du Code des assurances, laquelle implique la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu. ».
En l’espèce, Mme Z avait poussé Mme X dans les escaliers de l’immeuble, la chute lui causant d’importantes blessures. La Cour d’appel avait retenu la faute intentionnelle de Mme Z au motif selon lequel :
« Mme Z n’a pu ignorer qu’elle portait atteinte à l’intégrité de [Mme X] en provoquant sa chute dans l’escalier ; que du fait du caractère inéluctable des dommages provoqués par le fait volontaire de l’assuré qui font perdre au contrat son caractère aléatoire, les conditions d’application du contrat ne sont pas réunies ».
La 2e chambre civile va casser l’arrêt de Cour d’appel au motif :
« Qu’en se déterminant ainsi par des motifs impropres à caractériser une faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, laquelle implique la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu et sans constater que conformément aux termes de la clause d’exclusion conventionnelle de garantie, Mme Z…, en poussant Mme X…, avait eu pour but de porter atteinte à son intégrité physique, alors qu’elle avait relevé qu’elle avait pu agir par peur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »
Toutes les chambres de la Cour de cassation appliquent donc désormais la conception « classique », dite moniste : l’exclusion légale de l’article L. 113-1 al. 2 suppose la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu.
– NULLITE DE LA CLAUSE D’EXCLUSION
II convient également d’évoquer les contrats comportant une clause aux termes de laquelle ne sont pas garantis :
« les dommages intentionnellement causés ou provoqués par une personne assurée ou avec sa complicité »
Un arrêt de la cour de cassation du 18 octobre 2012, a admis l’application d’une telle clause d’exclusion mais deux ans plus tard, elle en a écarté la validité, et a considéré qu’elle était nulle car non-formelle et limitée (Cass. Civ. 2e, 12 juin 2014)
Au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, alinéa 1er, une clause d’exclusion n’est limitée que si elle désigne des situations ou des circonstances exactement déterminées, et non pas générales et indéterminées.
L’assuré doit être parfaitement en mesure de connaître les cas dans lesquels il ne sera pas garanti. La formule habituelle utilisée par la Cour de cassation est la suivante : les clauses d’exclusion doivent être formelles et limitées de façon à permettre à l’assuré de connaître exactement l’étendue de sa garantie. N’est pas conforme l’exclusion qui se réfère à des critères imprécis et à des hypothèses non limitativement énumérées.
C’est exactement ce qu’a retenu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt du 12 juin 2014.
« Mais attendu qu’après avoir relevé qu’en page 68 des conditions générales du contrat, une clause stipule qu’« outre les exclusions spécifiques évoquées dans chacune des garanties, sont toujours exclus au titre de ce contrat-les dommages de toute nature causés ou provoqués intentionnellement par l’assuré ou avec sa complicité », l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l’exclusion de garantie contractuelle correspond aux conditions de l’exclusion légale de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances et qu’au-delà de l’analyse sémantique non probante quant à la différence à opérer entre les verbes causer et provoquer, qui recouvrent la même notion d’intervention causale, à défaut de se référer à des circonstances définies avec précision de façon à permettre à l’assuré de connaître exactement l’étendue de la garantie, la clause d’exclusion de garantie ne peut être considérée ni comme formelle ni comme limitée ;
Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, d’où il résulte que la clause d’exclusion de garantie nécessite d’être interprétée, la cour d’appel a exactement décidé, hors de toute dénaturation, qu’elle ne devait pas recevoir application ; »
Cette clause-type dans tous les contrats d’assurance n’est pas suffisamment précise pour permettre à l’assuré d’apprécier les conditions de son application.
C’est la raison pour laquelle ces clauses qui sont toujours moins restrictives que l’article L. 113-1 al. 2 sont systématiquement écartées par les juridictions, et que la faute intentionnelle est toujours appréciée en considération des critères de cet article.
Ne boudons pas cette jurisprudence favorable, il en est d’autres bien plus douloureuses pour les assurés.
Guillaume Suffran et Jean Claude Radier