Réformer l’individu pour réformer la justice civile en France

Quand la première vertu de Madame Justice, c’est de convaincre le justiciable de ne plus la déranger, surtout au civil.

Les mots qui vont suivre sont ceux d’un avocat frustré par la justice civile en France, en ce qu’elle a de plus palpable pour ne pas dire de plus humain.

Afin d’échapper au travers de la déformation professionnelle, j’ai attendu d’agir comme simple justiciable pour voir si mon ressenti n’était pas biaisé.

Le résultat est mitigé.

Les mots qui vont suivre sont finalement ceux d’un justiciable qui connaît ses droits et a tenté de demander justice en France.

NB : La vexation à l’issue de toute confrontation avec l’appareil judiciaire étant un sentiment de plus ne plus familier et pérenne, il a fallu, avant de reprendre le présent article dont la version originale était plus corsée, attendre d’atteindre un certain seuil d’apaisement auquel aura largement contribué, contre toute attente, la lecture de la décision de justice sollicitée.

Comme quoi, tout vient à point à qui peut attendre.

 Elément déclencheur : l’expérience des deux commodes

Les faits sont simples. Après l’achat de 2 commodes en ligne, j’ai informé le professionnel de l’exercice de mon droit de rétractation dans le délai de 14 jours suivant la livraison et il en a accusé réception.

Bien que le Code de la consommation n’impose nullement de motiver l’exercice de ce droit, précisons qu’il ne s’agissait pas du caprice du moment, mais du conseil donné par le service client du professionnel en raison de malfaçons sur les deux commodes dont toute tentative de réparation s’avèrerait trop fastidieuse.

  • Après 1 mois de relances téléphoniques pour que le professionnel reprenne possession des commodes et rembourse le prix de vente et de livraison, il était mis en demeure par lettre recommandée… sans effet.
  • Après 2 mois, il était assigné par déclaration au greffe et le Tribunal d’instance désignait un conciliateur qui prenait contact avec chaque partie, ou du moins tentait.
  • Après 3 mois, le conciliateur constatait l’échec de son intervention auprès du professionnel et conseillait au consommateur de renouveler l’envoi de sa déclaration au Tribunal et au professionnel, complétée de l’indication selon laquelle la conciliation avait échoué.
  • Après 4 mois, le Tribunal fixait la première date d’audience.

Et soudain, miracle, le service juridique du professionnel prenait contact avec le consommateur pour tenter de lui donner une leçon de droit déformé de la consommation (nouvelle spécialité du droit enseignée en entreprise), puis comprenant que c’était peine perdue, il missionnait un livreur pour reprendre possession des commodes, adressait un remboursement incomplet accompagné d’un bon d’achat périmé, et faisait injonction au consommateur de renoncer à son instance.

En l’absence de retour du consommateur (par pur parallélisme des formes), le service juridique du professionnel écrivait finalement au juge d’instance qu’il ne serait pas présent ni représenté à l’audience, qu’il avait remboursé la somme de X accompagnée d’un bon d’achat par geste commercial, qu’il ne rembourserait rien de plus et qu’il estimait que le litige était désormais clos.

Les autres demandes restant symboliques, j’aurais pu en rester là. Mais à force de vanter à des justiciables les mérites du juge d’instance et la simplicité de la procédure par déclaration au greffe pour les litiges de moins de 4.000€, je voulais expérimenter jusqu’au bout.

Après tout, le Code de la consommation est de mieux en mieux rédigé, le site service-public.fr est facile d’accès, on serait tenté de dire que les consommateurs sont bien équipés pour faire valoir leur droit.

Mais c’était oublier l’administration de la justice.

  • Premier motif d’inquiétude : le professionnel ne sera pas représenté. Le juge ne pourra pas s’empêcher d’apporter la contradiction plutôt que de trancher le litige.
  • Deuxième motif d’inquiétude : les enjeux sont réduits. Le juge sera excédé d’être dérangé pour une question de principe et une indemnisation symbolique.
  • Troisième motif d’inquiétude : en France, mieux vaut être une grosse société en défense qu’un particulier ou une PME en demande. D’expérience, je peux affirmer que les juges appliquent, peut-être inconsciemment, une présomption d’honnêteté des entités pourvues de services juridiques.

Mais j’avais oublié le principal motif d’inquiétude : le renvoi systématique pour ne pas dire systémique.

A l’appel des cause, le juge avait une pile de dossiers qu’il estimait pouvoir renvoyer, envers et contre tous et quel que soit l’avis des parties présentes. Mon dossier était rapidement appelé. La sentence était assénée : vous revenez le 11 juin. Mais là, stupeur pour le juge : je demande pourquoi.

« – Mais parce que je le décide. Le dossier n’est pas complet. Z (le professionnel) a répondu qu’il avait repris les commodes. Il faut clarifier ce point car cela modifie l’objet du litige.

– Pardonnez-moi mais je suis là pour clarifier puisque la procédure est orale. D’ailleurs, Z vous a écrit qu’il ne viendrait pas, je m’étonne déjà que vous teniez compte du contenu de sa lettre pour déterminer l’objet du litige. Mais passons, je formulais 3 demandes : remboursement, dommages-intérêts et article 700. Z répond qu’il a remboursé partiellement et qu’il refuse toute indemnisation complémentaire. Ce n’est pas parce qu’il s’exécute tardivement que le comportement n’a pas été fautif. J’en demande la sanction outre le reliquat sur le remboursement. Le dossier est donc complet et une soustraction permet de trancher le litige à supposer que vous passiez outre le principe d’oralité des débats.

[Petite parenthèse : cette réponse a été ponctuée de réguliers rappels au silence du juge qui ne s’attendait pas à recevoir la moindre contradiction de la part d’un consommateur, mais qui a vite repris ses réflexes d’audience, l’absence de robe ne suffisant à cacher les formes généreuses de l’avocat]

– Je vous assure qu’il est dans votre intérêt que je renvoie l’affaire, c’est décidé, inutile de vous opposer.

– Je vous assure que ce n’est pas dans mon intérêt de devoir poser un nouvel après-midi pour reprendre exactement les mêmes explications dans un mois. En renvoyant de votre propre autorité et en l’absence de représentant en défense, vous créez un obstacle supplémentaire pour le demandeur. Vous êtes le juge des consommateurs puisque par taux de ressort, vous êtes le juge des petits litiges. Et le Code de la consommation est clair mais vous refusez d’en sanctionner les violations. En renvoyant, vous dissuadez les consommateurs de faire valoir leurs droits. Votre décision de simple administration de la justice, ce renvoi que vous minimisez, est un véritable déni de justice. Un obstacle de plus qui dissuadera tout consommateur de poursuivre la procédure et même de faire appel à vous à l’avenir pour faire valoir ses droits. Vous êtes le juge des consommateurs mais par vos pratiques, vous videz le Code de la consommation de son contenu.

– Je vous assure que si je rendais ma décision aujourd’hui, en l’état du dossier, elle ne vous satisferait pas. Non, c’est décidé, je renvoie.

Et là, comme je ne défendais pas les intérêts d’un autre, je me suis offert ce petit caprice, celui de dire librement à la justice en France ce que je pense réellement d’elle.

– Madame le Juge, nombre de magistrats se plaignent des faibles moyens de la justice. Mais par vos décisions quotidiennes, vous contribuez depuis des années à cette insuffisance de moyens. Vous aviez aujourd’hui les moyens de trancher rapidement le litige, mais vous refusez d’en user, vous renvoyez à d’autres la tâche. Vous venez d’imposer une nouvelle audience parfaitement inutile. Un surcoût superflu. Peut-être dans l’espoir que je renonce. Tout ce que j’en retiens aujourd’hui, c’est qu’un ordinateur aurait été plus efficace. »

Autre point de satisfaction : mon intervention a également mis en condition mes Confrères présents dans la salle, et dont j’espère que la grogne lancinante s’est dûment exprimée quand leurs dossiers ont été appelés.

Et je suis repartie, toute penaude. Je m’étais offert une demi-journée sur mes congés pour régler une question de principe, car j’aime les batailles à faible enjeu dont j’ai la folie de croire qu’ils rééquilibrent les rapports de force, car j’aime prouver aux services juridiques de ces professionnels qui trouvent plus rentable de prendre le risque d’un procès dont ils font le pari qu’il ne viendra jamais, que leurs statistiques sont faussées.

Et j’ai compris que certains combats sont inutiles. Dans le lot, rares seront ceux qui lèveront le poing, et quand bien même, la procédure judiciaire se chargera d’étouffer l’affaire.

Finalement, le calcul le plus simple est l’attente.

Pourquoi respecter spontanément les droits des consommateurs ? Le risque de procès est minime vu les difficultés pour mettre en branle la machine judiciaire. Au pire, il sera toujours temps de réétudier le dossier et de s’exécuter in extremis si par extraordinaire une audience est fixée.

Et puis, pour les rares cas où l’audience est maintenue, pourquoi s’embarrasser de participer à la mascarade ? La meilleure défense reste le dilatoire en France et une partie n’est jamais mieux traitée par le juge que quand elle ne se défend pas. Repousser au lendemain allège le quotidien de ceux qui doivent trancher, le simple exercice des droits de la défense n’est presque jamais considéré comme étant abusif donc fautif, le principe d’indemnisation est appliqué par les juges avec une telle parcimonie que l’on préfère appauvrir une victime plutôt que de prendre le risque de croire l’enrichir, et les rares fois où il ne paraît pas équitable au juge de ne pas accorder la moindre somme au titre de l’article 700 du CPC, le montant alloué est tellement risible qu’on se demande s’il n’est pas mis là dans l’unique but mesquin qu’il reste en travers de la gorge du justiciable lorsque son avocat lui présentera sa note d’honoraires à l’issue du procès.

Mais revenons à nos commodes, deux conclusions s’évincent de l’expérience :

  • Inutile pour nos législateurs de perdre davantage de temps à travailler sur le droit de la consommation : tant que n’existera pas un mode adapté de règlement des litiges de droit de la consommation, autant concéder que les professionnels peuvent s’asseoir en toute impunité sur le Code.
  • Notre justice est lente, et le temps c’est de l’argent. Même si au final, le second juge à qui l’affaire a été renvoyée a quant à lui pris le temps d’écouter, de comprendre et d’analyser malgré le nombre affligeant de dossiers qu’il a eu le courage de traiter (signe qu’on ne peut généraliser à d’autres la mauvaise impression que certains suscitent, l’inverse étant aussi vrai), il n’a pu aller au-delà de sanctions symboliques dont le prononcé m’aura certainement coûté bien plus qu’au professionnel fautif.

De l’anecdote des 2 commodes au présent article… poursuivons sur ces considérations plus générales.

 

La gratuité toute relative de la justice civile en France

Certains mauvais esprits répondront que le plus coûteux reste l’avocat sinon obligatoire, du moins indispensable pour faire valoir ses droits.

Mais tant que l’intervention est nécessaire, utile et que le jeu de la concurrence ou la loi de l’offre et de la demande permettent de rechercher le meilleur prix sans être contraint par les taux horaires démesurés que finalement, seuls les grands groupes ou leurs assureurs acceptent encore de cautionner, ce coût n’est pas choquant.

En revanche, il est beaucoup plus choquant que, conscients du coût réel de l’intervention d’un avocat et du temps qu’il a nécessairement consacré pour lui présenter le plus clairement possible le problème et les solutions à y apporter, le juge se serve encore de l’article 700 pour dénigrer le travail de ceux qui restent avant tout des auxiliaires de justice.

A ce titre, j’en appelle à nos instances représentatives.

Lors des journées Justice Morte, plutôt que de nous inviter à nous allonger en robe sur les pavés crasseux de la place Vendôme et finalement d’encourager la paralysie d’une justice qui continuera encore de faire perdre plus de temps au contribuable (soigne-t-on un cancer en retardant l’opération ?), pourquoi ne pas rappeler à nos juges que non, nous ne sommes pas là pour les embêter avec nos écritures qu’ils trouvent trop indigestes ou nos plaidoiries qu’ils estiment trop longues.

Nous sommes là, malgré toutes nos imperfections mais l’humilité de vouloir nous perfectionner, pour leur donner envie de régler le problème de droit que nous avons tenté d’identifier, envie de choisir la solution qui nous paraît la plus judicieuse dans l’intérêt de notre client.

Alors, pourquoi ne pas réfléchir à une vraie grève, celle qui les priverait du bénéfice de notre travail si chichement valorisé au quotidien : les priver de la présentation synthétique des faits, les priver de l’argumentation en droit, du visa des textes qui nous semblent pertinents, de la copie des articles de doctrine et des décisions cités, les priver du classement des pièces référencées au soutien de chaque prétention …et tout leur donner en bloc, tel que cela nous a été remis au premier rendez-vous ?

Je sais, nous avons une conscience professionnelle. Même si le juge est censé connaître le droit et analyser les faits bruts qui sont justifiés, nous savons que nul ne fera jamais courir un tel danger à son client.

Déjà, commençons par supprimer le visa du dispositif de nos écritures : rien ne l’impose et cela évitera qu’en cas de coquille, certains juges ne s’empressent d’en prendre prétexte pour botter en touche et rejeter les demandes sans tenir compte des motifs plus amplement détaillés juste quelques pages plus haut.

Mais revenons à nos moutons, sinon à nos commodes.

J’avais assisté à un colloque sur l’article 700 à la Maison du Barreau en 2016. Je me souviens que certains magistrats expliquaient qu’ils avaient la volonté de prononcer des condamnations conséquentes au titre de l’article 700 vu les heures manifestement passées par les avocats sur les dossiers, mais que c’étaient ces derniers qui rechignaient à donner des éléments utiles pour quantifier ce travail ; se contentant de mentionner un montant sans justificatif alors que, s’ils ne veulent communiquer sur les honoraires réels, une simple fiche de temps suffirait.

Depuis, je transmets systématiquement mes fiches de temps et je rappelle le taux horaire moyen parisien que l’on retrouve sur certains articles de presse.

Je pense pouvoir affirmer que tout le monde s’en contrefout. C’est comme se mettre à nu, sans robe, devant un juge d’instance. En général, ça réveille les complexes. Au mieux, cela prouve au contradicteur combien il nous a donné du fil à retordre et ça l’aidera réciproquement à mieux négocier ses forfaits avec son client habituel.

Et je peux prouver que tous les juges s’en fichent, de nos fiches de temps pour statuer sur l’article 700, et plus généralement s’en balancent de l’équité de l’article 700.

Exemple récent. Un professionnel (de l’assurance cette fois) avait toujours soutenu en référé et en première instance qu’il ne devait rien, avait été condamné devant le Tribunal, avait relevé appel pour l’effet suspensif puis œuvré pour faire durer la procédure. Finalement, la veille de la clôture, il avait versé les indemnités qu’il ne contestait alors plus devoir. Croyez-vous au moins que l’assureur se soit fait taper sur les doigts par la Cour d’appel ? Que nenni. A part une surprise de taille : pour une fois, le juge a admis que s’agissant du paiement d’une obligation de somme d’argent, les intérêts au taux légal couraient à compter de la première mise en demeure – solution prévue par le Code civil et consacrée par la Cour de cassation en matière d’assurance mais si rarement appliquée par la chambre pourtant spécialisée de la Cour d’appel en question qu’on aurait été tenté de s’en féliciter – si évidemment, l’assuré n’avait pas été une société, pour qui le taux légal est tellement dérisoire qu’on se demande s’il n’a pas été créé que pour consacrer en justice le concept de victoire à la Pyrrhus. Donc à part cette glorieuse conquête toute éphémère sur le point de départ de l’intérêt, rien. A part les dépens. Car pour le reste, l’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 !

Alors, croyez-moi, que le juge l’applique ou qu’il ne l’applique pas, l’article 700, c’est une vaste fumisterie. La petite blague qui fait bien rire l’avocat quand, au moment de signer la convention d’honoraires, le client demande si la partie perdante sera bien condamnée à les rembourser.

Dommage car le Code de procédure civile est pourtant bien rédigé. Il offre les moyens de rendre la justice gratuite pour la partie qui gagne, ou du moins indolore pour ceux qui ont agi de bonne foi. Mais ça, c’est le Code. Un peu comme celui de la consommation. On peut aussi s’asseoir dessus pour prendre de la hauteur. A se demander s’il n’y en a pas des piles, plutôt que des chaises, sur lesquelles siège la justice.

 

L’efficacité incertaine de la justice civile en France

Le manque de moyens est un problème d’autant moins surmontable qu’à paramètres constants, les nouveaux moyens des uns seront l’aggravation du manque de moyen des autres.

Alors, pourquoi ne pas engager une politique des petits pas plutôt que des pas perdus. Quelques idées pour rechercher plus d’efficacité.

  • La conciliation ou la médiation

Est-il réellement concevable que dans un rapport de forces déséquilibré, l’intervention d’un conciliateur ou d’un médiateur dépourvu de pouvoir contraignant permette d’aboutir à une solution équilibrée ? Sommes-nous si rares à voir que ça ne peut pas fonctionner ? La conciliation dans les litiges de droit de la consommation (ou assimilés), c’est favoriser l’enrichissement du fautif en convainquant l’autre qu’il vaut mieux abandonner vu l’inefficacité de la justice en termes de coûts et de délais.

Le succès d’une conciliation ne peut en effet être fondé que sur un pari, celui de la plus forte probabilité d’échec cuisant de la procédure de droit commun, autrement dit le pari de l’impossibilité d’obtenir efficacement justice en France et de la nécessité de s’accommoder d’un pis-aller en renonçant un peu pour ne pas perdre tout.

Si l’on ne peut donner de force contraignante au travail du conciliateur, qu’au moins le juge en tienne compte pour, s’il en partage les grandes lignes, sanctionner la partie condamnée quand elle a préféré l’ignorer. On pourrait envisager un intérêt multiple du taux légal avec comme point de départ la date de saisine du conciliateur venant assortir toute condamnation prononcée contre une partie qui se surcroît serait responsable de l’échec de la conciliation.

  • Le juge des référés et les mesures provisoires

Le juge des référés, c’est l’impuissance incarnée. Pour saper son travail, rien de plus simple. Il suffit de lui dire qu’il ne va pas y arriver. Qu’il n’en a pas le pouvoir. Plus on le rabâche en multipliant les pages, plus le juge des référés va se convaincre que tout ceci est bien trop compliqué.

Il n’y a que pour les expertises qu’un demandeur peut se rendre sereinement devant cette juridiction… enfin, à supposer que ce ne soit pas un référé commercial… là, on n’est plus sûr de rien.

Donc pour résumer, l’article 145 du CPC, c’est plaidable.

Articles 808 et suivants… c’est sans espoir. Une provision ? Le juge des référés est juge de l’évidence et l’évidence n’est plus palpable passées 3 pages d’explications.

Passerelle de 811 ? Ce serait tentant mais honnêtement, aucun juge n’aime les procédures d’urgence, et s’il est aisé de renvoyer la patate chaude à un collègue, on ne va pas pousser le vice jusqu’à le contraindre à travailler dans l’urgence. Autant laisser le demandeur tenter sa chance avec la lente procédure de droit commun, s’il survit aux 2 années de mise en état.

Est-il réellement si difficile de distinguer un comportement dilatoire d’une défense fondée au stade des référés ? Seul le juge du fond est-il capable de discernement ?

Le même reproche peut-être fait au juge de la mise en état.

Quand le débat révèle qu’une partie ne conteste pas devoir quelque chose a minima, pourquoi ne pas la condamner à la régler sans attendre la fin du procès ?

Quand il est certain que les dommages ont été évalués amiablement mais qu’une partie fait de la rétention d’information au prétexte que le travail de son expert serait confidentiel, pourquoi attendre la fin de l’instance pour imposer de reprendre tout le travail à zéro devant un expert judiciaire plutôt que de forcer la communication du rapport interne ou à défaut d’en tirer toute conséquence ?

A nouveau, pas besoin de réforme : le Code de procédure civile autorise l’œuvre créatrice de nos juges du provisoire… mais force est de constater que ces derniers préfèrent garder leurs œillères et trébucher dans chaque ornière plutôt que de sortir des sentiers battus.

  • La mise en état

Au-delà des ressources malheureusement trop rarement exploitées de l’article 771, la mise en état pose un réel problème d’automatisation des renvois, alors que paradoxalement, les audiences restent maintenues pour les prononcer.

Rien de plus aisé que de faire du dilatoire, puisque 2 renvois sont en général consacrés à lancer la machine (vérifier la constitution adverse et la communication des pièces), l’injonction de conclure ne vient qu’après un minimum de 3 renvois supplémentaires, la sanction de la clôture suppose d’ajouter au moins 2 autres renvois (certaines juridictions institutionnalisant les degrés d’injonction, de l’itératif au réitératif), et la clôture reste toute relative puisqu’un rabat est rarement refusé.

Petite anecdote : un confrère inactif pendant près de deux ans malgré les relances, sollicita un rabat de clôture la veille de la plaidoirie, sans même prendre la peine de rédiger les conclusions pour le dépôt desquelles le rabat était sollicité. La présidente a tout de même concédé qu’elle ne pouvait décemment autoriser ce rabat si je m’y opposais… mais qu’il m’appartenait par confraternité de ne pas m’opposer ! Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, mais la confraternité, elle, a ses limites.

Il est difficile de déterminer l’origine exacte des calendriers à rallonge. Est-ce la difficulté de nos juges à identifier et sanctionner le dilatoire ou est-ce la saturation qui fait que juge et défense poursuivent un intérêt commun : gagner du temps ?

S’il n’est pas impossible d’obtenir la fixation d’un calendrier en motivant sa demande au juge de la mise en état (et c’est encore heureux car après tout, le Code le prévoit – article 764), cela reste tout de même extrêmement rare.

Alors pourquoi ne pas rendre la pratique systématique ? Dès que les constitutions sont enregistrées, définissons un calendrier avec dates préfixes pour les échanges et une seule audience de mise en état à l’issue pour vérifier le respect de ce calendrier après, disons, 6 mois par exemple. Soit le défendeur n’a rien fait dans le calendrier et la clôture est prononcée, soit il n’a pas respecté le calendrier mais a au moins conclu une fois en 6 mois et le demandeur peut suggérer le calendrier pour la suite, soit le calendrier a été respecté et une seule mise en état en 6 mois suffit pour le constater.

J’ai entendu parler de cet objectif de fixation contradictoire d’un calendrier en accord avec les parties dès le début de la mise en état… aussi, gardons espoir.

  • Les audiences de plaidoiries

On a compris, les longues plaidoiries embêtent tout le monde et ne peuvent ajouter au débat strictement délimité par les conclusions dans une procédure écrite, outre qu’elles précèdent de si longues semaines la rédaction de la décision qu’elles sont déjà largement oubliées au moment de délibérer.

Alors, plutôt que les oraisons à tour de rôle façon vieille école, peut-être faudrait-il encourager un débat arbitré par le juge sur des questions qu’il identifie comme pertinentes pour fonder sa propre opinion ?

Cette pratique n’a rien d’une innovation, elle est de plus en plus souvent proposée par les tribunaux, plus rarement par les cours d’appel… peut-être une question générationnelle.

  • Les intérêts au taux légal

La réforme certainement la plus efficace pour lutter contre le dilatoire ces dernières a été introduite par arrêté. Celui du ministre des finances qui chaque semestre fixe le taux de l’intérêt légal.

Après 2 années ridiculement faibles où le taux frôlait zéro (0,04% en 2013 et 2014), l’article L. 313-2 du Code monétaire et financier créait en 2015 un taux propre au créancier personne physique n’agissant pas pour ses besoins professionnels, et depuis, ce dernier fluctue entre 3,73% et 4.54%, là où pour tous les autres créanciers, le taux a plafonné à 1,01% en 18 ans.

Mais encore faut-il que le juge s’intéresse au point de départ de l’intérêt au taux légal quand il statue. Or, c’est un point régulièrement omis par les magistrats, conduisant à l’application de la solution par défaut : la date de prononcé du jugement.

Or, là aussi, c’est priver le Code (civil cette fois) de sa subtilité : comme évoqué précédemment, le point de départ doit être la date de première mise en demeure en matière contractuelle lorsque l’inexécution porte sur le paiement d’une somme d’argent (article 1231-6). Et même dans toute autre matière, la date de prononcé du jugement n’est pas une fatalité car le juge peut en décider autrement (1231-7 alinéa 1), car le juge peut déroger aux dispositions supplétives du Code (1231-7 alinéa 2).

On peut toujours tenter une requête en omission de statuer : en général, le juge précise alors que l’intérêt part à compter de sa décision, et même dans l’hypothèse régie par l’article 1231-6, qui s’offrira le luxe de faire un pourvoi en cassation sur la seule question du point de départ des intérêts ?

En conclusions, si la sanction de l’intérêt légal n’était anéantie ni par son taux ridiculement bas pour les personnes morales et les professionnels, ni par le report du point de départ les rares fois où le créancier personne physique dispose d’un taux plus favorable, nul doute que la question de l’exécution provisoire perdrait tout intérêt (le jeu de mot prenant d’ailleurs tout son sens) : la crainte de devoir payer les intérêts à un taux dissuasif sur toute la durée de la procédure d’appel aurait raison des appels dilatoires plus certainement encore que la suppression de l’effet suspensif de l’appel.

  • Les réformes de la procédure civile

Le meilleur pour la fin. A croire que toute réforme de la procédure n’a pour objectif que de multiplier les chausse-trappes pour piéger les avocats.

Reprenons celle devant la Cour d’appel : litanie de la caducité (et variante sur l’irrecevabilité)

  • Lorsque l’intimé n’a pas constitué avocat après 1 mois, l’avocat de l’appelant doit faire signifier la déclaration d’appel dans le délai d’1 mois après avoir reçu l’avis du greffe, sinon caducité.

Si entre temps un avocat se constitue (signe qu’il a quand même dû être informé de l’appel), il faut quand même lui notifier la déclaration d’appel, sinon caducité,

  • Si l’affaire est fixée à bref délai au regard de son caractère d’urgence ou de la nature de la décision contestée (ordonnance du juge des référés ou de la mise en état), l’avocat de l’appelant doit signifier l’avis de fixation dans les 10 jours, sinon caducité,

Si entre temps un avocat se constitue, il faut quand même lui notifier l’avis de fixation, sinon caducité,

L’avocat de l’appelant a alors 1 mois pour remettre ses conclusions, sinon caducité,

L’avocat de l’intimé a ensuite 1 mois pour répondre, sinon irrecevabilité.

  • Si l’affaire suit la procédure ordinaire, l’avocat de l’appelant a 3 mois après sa déclaration d’appel pour conclure, sinon caducité,

L’avocat de l’intimé a 3 mois après notification des conclusions de l’appelant pour répondre, sinon irrecevabilité.

A priori, vu l’objectif de célérité, la réforme serait pertinente… mais c’est oublier que l’affaire ne sera pas jugée avant 2 ans en moyenne. Alors pourquoi sanctionner par l’anéantissement du travail de l’avocat le simple dépassement d’un délai ? Pourquoi refuser d’analyser le recours du justiciable au motif que son avocat n’aurait pas remis assez vite une copie qui de toutes manières ne sera pas lue avant 2 ans ?

Au final, deux constats s’évincent de cette réforme :

  • Si après ce parcours d’obstacles la justice est rendue, elle ne sera pas rendue plus vite
  • Mais les recours en responsabilité contre les avocats vont se multiplier.

En résumé, ces dernières années, la réforme de la procédure civile, ça a été beaucoup de bruit pour rien et tout ça pour ça. Peut-être encore formuler l’espoir que les textes qui existent déjà soient réellement appliqués ?

Elodie LACHAMBRE

Poster le commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

captcha

Please enter the CAPTCHA text