Accession différée et assurance des aménagements

Cette question s’avère d’une grande complexité. Elle pourrait probablement faire l’objet d’une thèse dans la mesure où la position de la cour de cassation reste encore aujourd’hui incertaine. Un petit rappel est nécessaire.

L’article 552, alinéa premier, du Code civil prévoit que la propriété du sol emporte propriété du dessus et du dessous et l’article 553 indique que toutes les constructions édifiées sur un terrain sont présumés faits par le propriétaire et lui appartenir. A partir de ces textes, il a tout d’abord été considéré que les constructions et aménagements réalisés par le locataire devenaient la propriété du bailleur au fur et à mesure de leur réalisation, puis la cour de cassation a considéré que l’accession à la propriété du bailleur n’intervenait qu’à la fin du bail.

Toutefois cette solution n’a lieu d’être mise en œuvre que si le contrat de bail liant propriétaire et locataire est silencieux sur la question. Car sur ce point les parties sont libres de prévoir ou non l’accession et d’organiser comme elles veulent le moment où elle intervient.

Il y a quelques années, et les professionnels s’en souviennent, la question ne faisait généralement pas débat. En cas de sinistre les contrats d’assurances couvraient les aménagements tant par le contrat d’assurance du bailleur, que par celui du locataire, voire même au titre de l’assurance du risque locatif, en assurance de responsabilité, et en cas de sinistre la garantie était gérée comme un cumul d’assurance.

Les experts des assurés et des assureurs se rencontraient, ils désignaient l’assureur qui prendrait en charge l’indemnisation des aménagements en fonction de celui du locataire ou du bailleur qui réaliserait les travaux de réparation.

Depuis l’arrêt de la cour de cassation, ayant décidé que pour qu’il y ait cumul d’assurance, il est nécessaire qu’il y ait identité de souscripteur, la garantie ne peut plus être traitée comme un cumul d’assurance.

Plus encore, alors qu’historiquement les contrats multirisque entreprise garantissaient les aménagements comme tous biens meubles nécessaires à l’exploitation et situés dans les bâtiments assurés, sans s’interroger sur la question de savoir à qui ils appartenaient, désormais de nombreux contrats limitent la garantie aux biens dont l’assuré est « propriétaire ».

Depuis que ces contrats sont sur le marché, la question de la propriété est devenue déterminante, et elle soulève d’importants problèmes.

Ainsi, ne sont pas seulement concernés les aménagements, mais par exemple les matériels en dépôt, ou en crédit-bail. Il est donc nécessaire que le contrat d’assurance couvre ces biens par une autre garantie, sinon ils ne le sont pas, car ils ne sont pas la propriété de l’entreprise.

Là ou avant, tous les biens situés à l’intérieur des locaux exploités étaient garantis, sans se préoccuper de leur propriété, désormais il est nécessaire de vérifier si tous les biens qui s’y trouvent et dont le locataire n’est pas propriétaire, sont bien couverts par d’autres garanties.

Pour les aménagements, les professionnels connaissent par exemple, la clause désignée le plus souvent «garantie perte financière », qui tend à indemniser le locataire qui a financé et réalisé ces aménagements, quand le bailleur en devient propriétaire et qu’il refuse ou est dans l’impossibilité de les réparer.

Désormais, la question de savoir à qui appartiennent les aménagements est devenue un point de débat permanent au moment de régler les sinistres.

Ajoutons que le motif pour lequel certains assureurs limitent la garantie aux seuls biens dont l’assuré est propriétaire est un faux motif. Il contrevient à un des principes fondamentaux de l’assurance, rappelé dans l’article L 121-6 du code des assurances :

« Toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose peut la faire assurer. »

Mais l’histoire montre que les assureurs n’ont cessé de s’éloigner de ce qui constituait les principes fondateurs de leur profession. On n’ira pas plus loin sur ce point.

En résumé, désormais en cas de sinistre la première étape consiste à lire le contrat d’assurance pour voir comment les aménagements sont garantis, puis le contrat de bail, pour connaitre la volonté des parties sur le sort de ces aménagements.

La plupart des baux comportent une clause déclarant que les aménagements deviennent la propriété du bailleur à la fin du bail ou au départ du locataire.

Attention ces deux mentions peuvent paraitre identiques ou même voisines mais elles ne le sont pas. La première vise la fin du bail de sorte qu’en cas de renouvellement il est possible d’admettre que les aménagements sont devenus propriété du bailleur, car la cour de cassation considère qu’un bail renouvelé est un nouveau bail et non la poursuite du bail précédent.

En revanche le départ du locataire vise nécessairement le déménagement, sans tenir compte des éventuels renouvellements intervenus précédemment.

Une certitude un arrêt de 2003 précisait :

« La Cour d’appel qui a retenu que le bailleur n’accédait à la propriété des améliorations réalisées dans les lieux loués par le locataire qu’à la fin du bail et qu’avant cette issue, il n’avait vocation à aucune prétention à ce titre, et qui a constaté qu’en l’espèce les aménagements et les améliorations avaient été détruits par un incendie avant même la fin du bail, en a justement déduit que le bailleur était mal fondé à prétendre au paiement de leur contre-valeur. »

Un arrêt important de 1989 prévoyait l’accession au départ du locataire

« ..la cour d’appel, recherchant la commune intention des parties, a souverainement retenu que l’accession n’avait pu se réaliser au profit des bailleurs qu’au moment de la restitution des lieux…

Puis en 2005

…Le bail cédé …et constamment renouvelé … comportait une clause selon laquelle « le preneur s’engage à laisser, en fin de bail, tous les améliorations, aménagements et embellissements à la propriété, sans indemnité » … interprétant souverainement le sens de cette clause, que les embellissements détruits par l’incendie avaient seulement vocation à devenir la propriété du bailleur en fin de bail, la cour d’appel en a exactement déduit que le bailleur,… ne pouvait prétendre à l’indemnisation de biens qui n’existaient plus au jour de cette résiliation et qui, au jour du sinistre, appartenaient au preneur ;

Depuis plusieurs arrêts ont considéré que les aménagements sont devenus propriété du bailleur, dès la résiliation du bail ou son renouvellement :

1 – « … chaque bail comportant une clause autorisant le preneur à effectuer sur ces terrains toutes les constructions utiles à son activité ; que, par acte du … 2001, le preneur a sollicité le deuxième renouvellement des baux à compter du … 2001 ; que les bailleurs ont accepté le principe du renouvellement, mais qu’aucun accord n’a pu être trouvé sur le prix du bail renouvelé ; »

Attendu que, pour dire que le montant du loyer renouvelé doit être calculé sur la valeur du seul terrain nu…

… Qu’en statuant ainsi, alors que le bail renouvelé étant un nouveau bail, les bailleurs pouvaient, lors du second renouvellement, solliciter la prise en compte des modifications intervenues dans les biens loués pour la fixation du prix du nouveau loyer, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

2 – Mais attendu qu’ayant relevé que le bail, résilié amiablement le … 2001, comportait une clause d’accession selon laquelle les travaux de transformation ou d’amélioration faits par le preneur ne donneront lieu de la part du bailleur à une quelconque indemnité et que le preneur ne pourra en fin de jouissance reprendre aucun élément ou matériel qu’il aura incorporé au bien loué à l’occasion d’une amélioration ou d’un embellissement si ces éléments ou matériaux ne peuvent être détachés sans être fracturés, détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont rattachés, la cour d’appel en a exactement déduit que M. X…, devenu en application de cette clause propriétaire des constructions et ouvrages réalisés par la société… , était titulaire d’une action directe contre l’assureur et qu’il avait qualité pour recevoir l’indemnité correspondant aux désordres affectant l’ouvrage réalisé par la société …;

En conclusion, le sort des aménagements dépend de la définition des biens garantis dans le contrat d’assurance, il dépend ensuite de la rédaction de la clause d’accession. La jurisprudence semble considérer de manière dominante que l’accession est réalisée au jour de la fin du bail, que ce soit par renouvellement ou par résiliation.