Le sursis à statuer

Le sursis à statuer

En 2012, alors que les assurés étaient en vacances avec leurs enfants, ils recevaient un appel du commissariat les informant que leur maison avait fait l’objet d’un incendie .

Ils ont déposé plainte mais l’enquête n’a pas permis d’identifier les responsables de l’incendie.

En septembre 2012, les assurés donnaient leur accord sur une valorisation totale de leurs dommages

Comme d’habitude en pareil circonstances, ils ont tout perdu dans l’incendie de leur habitation et le banquier créancier hypothécaire qui a financé l’acquisition de leur bien a formé opposition auprès de l’assureur.

Face à cette situation d’urgence extrême, leur assureur s’est contenté de répondre hypocritement « nous restons en attente des suites de l’enquête pour prendre position »

Les assurés n’ont eu d’autre choix que de saisir le tribunal, devant lequel l’assureur a demandé un sursis à statuer, contestation classique en pareille circonstance. Un sursis à statuer est une décision de procédure du juge civil par laquelle il ordonne la suspension de la procédure devant le tribunal civil tant que l’enquête ou la procédure pénale ne sont pas terminées.

Selon l’article 4 du Code de procédure pénale : « il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. »

Une telle décision renvoie le plus souvent le traitement de l’affaire à plusieurs années.

Même quand l’enquête se termine par un non-lieu, c’est-à-dire l’absence d’élément démontrant l’infraction ou l’impossibilité de trouver ou de poursuivre les auteurs, les services de police et du parquet, qui ne sont soumis à aucun délai, mettent souvent des mois et des mois quand ce ne sont pas des années pour boucler les enquêtes et les archiver.

Pour étayer sa demande l’assureur communiquait une plainte simple adressée au procureur de la république. Mais le procureur est libre de démarrer ou non une enquête à réception d’une telle plainte, et il est fort rare que des suites soient données à une plainte simple. Seule la plainte avec constitution de partie civile oblige le parquet à ouvrir une enquête.

Le tribunal a rejeté cette demande de sursis à statuer de l’assureur, au motif que la plainte versée aux débats  était tardive, qu’elle ne suffisait pas à caractériser la mise en mouvement de l’action publique, et qu’aucun élément ne permettait d’établir ou de faire présumer que l’assuré puisse être l’auteur de l’incendie ou y avoir participé.

L’assureur a fait appel du jugement et en bien mauvaise posture il a alors communiqué devant la cour d’appel la preuve qu’il avait déposé une plainte avec constitution de partie civile postérieurement au jugement.

Reprenant son argumentation le cabinet Radier sur le fondement de l’article 4 du code de procédure pénale, et la cour d’appel de ROUEN a très logiquement considéré :

« Au soutien de sa demande de sursis à statuer,(l’assureur) … se prévaut du dépôt de plainte avec constitution de partie civile qu’elle a déposé le … 2014 contre … (les assurés) , de ce que le présent litige concerne la réparation du préjudice subi en raison de l’infraction pénale, l’action permettant seule à son terme de définir les conditions d’une prise en charge ou au contraire de constater la déchéance de la garantie et de ce que l’enquête pénale est en cours.

(les assurés ) opposent à (l’assureur) l’absence de preuve de ce qu’une action publique est engagée et le fait que l’alinéa 3 de l’article 4 du code de procédure pénale exclut tout sursis à statuer.

Selon les dispositions de l’article 4 du code de procédure pénale,
“L’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction prévue par l’article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l’action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.”

En l’espèce, il est justifié par (l’assureur) de ce qu’une information a été ouverte pour escroquerie ainsi qu’il résulte de l’avis du juge d’instruction du tribunal de grande instance d’EVREUX en date du … 2015 adressé à l’avocat de (l’assureur), partie civile.
Toutefois, outre le fait que l’information est ouverte contre X, et non contre (les assurés), la procédure pénale est en cours pour escroquerie, et l’action civile dont s’agit concerne l’exécution du contrat d’assurance, et plus particulièrement l’indemnisation d’un sinistre, mais ne poursuit pas la réparation du dommage causé par l’infraction pénale d’escroquerie, quand bien même la décision à intervenir au pénal serait susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.
Il convient, en conséquence, de débouter (l’assureur) de sa demande de sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale et de confirmer la décision entreprise sur ce point. »

Certes cet aspect procédural est assez technique. Ce qu’il convient d’en comprendre est qu’il ne suffit pas pour l’assureur de déposer une plainte pour tentative d’escroquerie contre X pour bloquer la procédure en indemnisation devant le juge civil, il est indispensable que la plainte soit expressément dirigée contre les assurés.

Autant une plainte contre X, ne permettrait pas aux assurés de poursuivre l’assureur pour dénonciation calomnieuse, car elle ne les vise pas personnellement, autant une plainte directement dirigée contre eux leur ouvre cette faculté.

Cela signifie que si sa plainte était manifestement fondée sur des arguments qu’il savait insuffisants, dans le seul but de gagner du temps, l’assureur peut alors être condamné à des dommages intérêts.