En cas de sinistre la plupart des contrats contient une clause imposant à l’assuré de réparer ou reconstruire son bien dans un délai de deux ans, pour percevoir ce qu’on appelle l’indemnité différée, c’est à dire la part de la vétusté. (voir article indemnisation des sinistres)
Cette clause est manifestement abusive puisqu’elle écarte le paiement de l’indemnité due par l’assureur sans que l’assuré ne dispose d’aucun moyen pour retarder son échéance, et sans l’ombre d’une justification pour l’assureur.
En effet on se demande bien pourquoi l’assuré perdrait le bénéfice d’une partie de son indemnisation, qui est la contrepartie des primes qu’il a payé, alors qu’aucune faute ne peut lui être reproché.
Ainsi, plus le sinistre est important, plus son traitement est complexe, plus l’expertise amiable va durer longtemps, plus tard l’assureur versera l’indemnité immédiate, et moins l’assuré aura de temps pour réparer son bien, avec pour sanction la perte d’une partie de ses indemnités.
Voilà un moyen bien facile pour les assureurs d’échapper à leur obligation de paiement, sans aucun motif ni aucune contrepartie.
Plus encore, l’assureur peut ainsi jouer à la loterie, au gré des misères et aléas de la reconstruction du bien de son assuré, toute mésaventure du chantier reculera d’autant la date de son achèvement et donc donnera autant de chance à l’assureur d’échapper au paiement des sommes dont il est redevable.
C’est dans une affaire proche de cette hypothèse la cour de cassation a rendu une décision intéressante le 12 avril 2012.
- Vu les articles 1134 du Code civil, L. 121-1 du Code des assurances et 455 du Code de procédure civile ;
- Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que M. C. a fait assurer, à compter du 1er janvier 1994, un bâtiment dépendant de son exploitation agricole auprès de la société Aviva assurances (l’assureur) ; que ce bâtiment a été détruit par un incendie le 1er septembre 2004 ; qu’à la suite d’une transaction signée le 23 décembre 2005, la société a versé une certaine somme à M. C., l’indemnité différée devant être réglée sur présentation des factures des travaux ; que, le 18 septembre 2007, la société a informé l’assuré de son refus de lui payer cette indemnité au double motif de la prescription de sa demande et de la modification de la destination des lieux assurés ; que M. C. a assigné l’assureur, le 9 octobre 2007, en paiement de l’indemnité différée ;
- Attendu que pour débouter M. C. de toutes ses demandes, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés non contraires aux siens, que l’assuré n’a pas produit ses factures dans le délai de deux ans prévu au contrat et qu’à l’occasion de la reconstruction du bâtiment sinistré, il a notamment aménagé trois appartements à usage locatif, de sorte que cet immeuble n’a plus ni la même capacité fonctionnelle ni la même destination qu’auparavant ;
- Qu’en statuant ainsi, alors que les premiers juges avaient constaté qu’il était impossible à M. C. de reconstruire à l’identique compte tenu des injonctions de l’administration sur la mise aux normes des bâtiments d’élevage et que l’appelant faisait valoir, dans ses écritures, que la transaction du 23 décembre 2005 avait interrompu le délai de deux ans et sans répondre au moyen tiré de l’impossibilité de reconstruire résultait, non d’un choix personnel, mais d’une contrainte administrative invoquée par l’assuré, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ni répondu à ce moyen, a violé les textes susvisés ;
Certes l’arrêt a considéré que le retard dans la réalisation n’était pas imputable à l’assuré, qui a subit des difficulté dont il ne portait apparemment pas la responsabilité, mais pour autant la cour de cassation admet que le délai de deux ans puisse être apprécié et donc retardé en fonction des circonstances.
Espérons qu’on n’entrera pas dans un débat fondé sur la faute ou la négligence de l’assuré, ni qu’on se mettra à débattre pour apprécier si telle ou telle action a été ou non réalisée avec diligence ou avec un éventuel retard, ce qui détournerait totalement le débat nécessaire sur le principe même de la validité de la clause.
Pour donner une voie et une idée de raisonnement. En matière d’assurance, l’assureur est déjà largement protégé par la prescription biennale de l’article L 114-1 du code des assurances. La cour de cassation a déjà statué sur le point de départ de la prescription pour le paiement de l’indemnité différé, qui doit être fixé au plus tôt au jour du paiement de l’indemnité dite « immédiate » .
Admettre la validité du délai de deux ans imposé par les contrats de reconstruction du bien pour percevoir l’indemnité différé, c’est détourner les règles de la prescription. Car si l’assureur est protégé par le délai de deux ans, l’assuré dispose des moyens légaux de l’article L 114-2 du code des assurances pour interrompre la prescription et ainsi se prémunir contre le temps qui passe quand il ne peut pas agir.
Faire du délai de deux ans une condition de garantie c’est contourner l’article L 114-2 et interdire à l’assuré d’interrompre le délai par les modes spécifiques du droit des assurances pour interrompre les délais. C’est donc bien donner à l’assureur un avantage démesuré, sans l’ombre d’une contrepartie.