L’actualité oblige a légèrement modifier cet article publié au même moment où la cour de cassation rendait un arrêt du 25 janvier 2017, qui en confirme fermement le contenu.
Tous ceux qui ont été victimes de sinistres importants connaissent les experts d’assuré qui interviennent aux cotés des assurés pour les assister dans la procédure d’évaluation et de règlement amiable des sinistres.
Il faut savoir que d’autres experts interviennent également avec une mission comparable auprès des victimes de dommages corporels à l’occasion d’accident de la circulation ou dans d’autres circonstances.
A la différence des experts de compagnie d’assurance qui sont presque exclusivement rémunérés à la prestation ou au temps passé, les experts d’assurés prévoient quasiment toujours des honoraires progressifs calculés sur le montant des dommages évalués amiablement.
Selon les contrats d’assurance, les honoraires d’expert sont pris en charge en tout ou partie par l’assureur. Le plus souvent le contrat prévoit un remboursement, mais fréquemment les assureurs règlent directement les honoraires entre les mains des experts.
Beaucoup ignorent que les honoraires de l’expert sont soumis à une règle légale originale et mal connue. Il s’agit d’une loi du 3 avril 1942, encore en vigueur et qui stipule :
Article 1 : Sont nulles de plein droit et de nul effet les obligations contractées, pour rémunération de leurs services ou de leurs avances, envers les intermédiaires qui, moyennant émoluments convenus au préalable, se chargent d’assurer aux victimes d’accidents de droit commun ou à leurs ayants droit, le bénéfice d’accords amiables ou de décisions judiciaires.
Article 2: Tout intermédiaire convaincu d’avoir offert les services spécifiés à l’article 1er est puni d’une amende de 4 500 €. En outre, le tribunal peut ordonner l’affichage ou la diffusion de la décision, ou d’un communiqué dans les conditions précisées à l’article 131-35 du code pénal.
Il résulte de ce texte que tout personne qui offre ses services en vue de négocier ou d’obtenir par voie judiciaire une indemnisation pour le compte des victimes d’accident, verra irrémédiablement son contrat annulé et n’aura droit à aucun honoraire.
Il convient d’ajouter que l’intermédiaire qui proposerait de commercialiser ces contrats commettrait une infraction pénale. Il existe des décisions de jurisprudence encore récentes qui ont appliqué ces textes. (Cass crim 3 juin 1992 n° 92-80.226)
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme que Simon-Roger X… offrait ses services par voie de publicités parues dans la presse en qualité d’expert-conseil spécialisé dans l’indemnisation des victimes d’accidents corporels » et que le principe de sa rémunération était convenu à l’avance ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d’infraction à la loi du 3 avril 1942, la juridiction du second degré retient, par motifs propres et adoptés, qu’il n’importe que le montant de sa rémunération ait été forfaitaire ou proportionnel aux sommes recouvrées dès lors que son principe était convenu à l’avance ;
Attendu qu’en l’état de ces motifs, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Les experts principalement visés par ce texte, sont ceux qui offrent leurs services aux victimes d’accidents de la circulation, ou d’accidents domestiques, ayant subis des dommages corporels.
Ces experts, qui pour la plupart, disposent de compétences indéniables dans l’évaluation des dommages corporels issus des nomenclatures légales et jurisprudentielles, exercent pourtant en totale illégalité.
Ils s’exposent également à des poursuites pour violation de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 qui donne aux avocats le monopole de la consultation en matière juridique. En effet on considère que d’assister des victimes dans l’évaluation et la négociation de leur indemnisation nécessite une maitrise du droit, et la mise en œuvre de compétences juridiques qui ressortent de ce monopole.
C’est en ce sens que la cour de cassation a rendu un arrêt du 25 janvier 2017, après qu’une cour d’appel ait annulé le mandat d’un expert qui critiquait cette décision :
« attendu que c’est par l’exacte application des dispositions combinées de ces textes que la cour d’appel, après avoir, à bon droit, retenu que les diligences accomplies par la société, qui avait reçu pour mission d’accompagner les consorts X… depuis l’étude du dossier jusqu’à la régularisation d’une transaction, recouvraient des prestations de conseil en matière juridique, dès lors qu’elles impliquaient de procéder à la qualification juridique de leur situation au regard du régime indemnitaire applicable et à la définition de chaque poste de préjudice susceptible d’indemnisation, en tenant compte des éventuelles créances des tiers payeurs et des recours que ceux-ci peuvent exercer, a jugé qu’une telle activité d’assistance exercée, fût-ce durant la phase non contentieuse de la procédure d’offre, à titre principal, habituel et rémunéré, était illicite, justifiant ainsi sa décision d’annuler, par application de l’article 1108 du code civil, alors en vigueur, le mandat litigieux, comme la convention de rémunération qui en était indivisible ; que le moyen n’est pas fondé ; »
Des experts qui résistent et refusent de se plier cette jurisprudence ont même saisi la cour de cassation d’une Question de constitutionnalité, en invoquant que la règle portait atteinte au principe de la liberté du commerce et de la concurrence, la cour de cassation a répondu par une décision cinglante du 25 septembre 2019 :
« Seul un professionnel du droit ou relevant d’une profession assimilée est autorisé à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité d’assistance à la victime d’un accident de la circulation pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire. Une telle limitation à la liberté d’entreprendre est justifiée par la nécessité d’assurer le respect des droits de la défense, garantis par l’article 16 de la Constitution, et n’est manifestement pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi »
Si les experts d’assurés procédaient de la même manière, (dans le cadre de l’évaluation des dommages après sinistres en incendie, et autres événements garantis), ils pourraient être soumis aux mêmes sanctions. Il convient de comprendre le texte de 1942 qui sanctionne principalement le rôle d’intermédiaire, de mandataire en vue d’obtenir un accord de règlement.
Ce qui est sanctionné, ce n’est pas d’assister son client dans l’évaluation de ses dommages ou préjudices, c’est le fait de l’assister dans la négociation avec le responsable et/ou son assureur.
Bien que le mode de rémunération ne soit pas déterminant de la qualification, il est certain que l’expert dont les honoraires sont déterminés par le résultat de sa négociation, qui constituent ce qu’on appelle un pacte de quota litis, montre par là qu’il est directement intéressé au résultat de la négociation ou du procès qui s’en suivra. Il manifeste ainsi son implication et par conséquent l’importance de son intervention dans le résultat.
A l’inverse les experts intervenants à l’occasion des sinistres en dommages matériels ne risquent pas d’entrer dans cette qualification. Leur rémunération est calculée sur les dommages indépendamment des sommes effectivement payées par l’assureur et/ou le responsable.
Leur intervention est même expressément prévue dans les contrats d’assurance qui imposent tous que l’évaluation des dommages soit réalisée à l’occasion d’une expertise amiable, entre experts de l’assureur et de l’assuré.
Les experts négocient certes les dommages, c’est-à-dire une évaluation, et sauf exception ils ne négocient pas un accord, une transaction ou un procès futur.
En conclusion, les experts doivent être attentifs à la rédaction de leurs contrats, et ne pas tomber dans la facilité d’une activité prohibée.
JCR